La femme triste
La femme triste s'écroule lentement le long des plis creusant sa face.
D'un geste paralytique elle prend une cigarette,
L'allume dans un espace matériel et pesant,
Crache de grandes bouffées de fumée opaque.
Les yeux sont mouillés.
Pleure-t-elle?
La femme triste humecte d'amertume son iris absent.
Elle se complaît dans le silence,
Se fait la plus que lente de cet espace diffus...
Ses lèvres endolories, dures et bouffies, donnent à son visage une maladresse joufflue,
Ridiculeusement enfantine.
Le temps s'écoulant entre l'intention du geste et son expression ne se compte plus;
Il devient un long couloir de minutes froides et silencieuses.
La femme triste a dit "au secours" dans les escaliers et m'a entraînée dans ce salon.
La femme éteinte attend accrochée à la pointe de sa cigarette.
La chimie des maîtres en blanc a fait d'elle une vivante assassinée,
Une plante sans sève,
Une herbe sans soleil,
Un lac sans eau.
... Une demande...
Elle se cache aussitôt.
Elle accepte et demande,
Accepte et demande...
Sortir de ce tourbillon si chaud,
Penser l'impensable... et sentir la honte...
La femme triste a écrasé sa cigarette.
Elle regarde à présent le mur et se raidit.
Ses épaules et ses seins pendent lamentablement vers l'avant.
Ses pieds débordent des petites chaussures ne pouvant plus les contenir...
Gonflée comme un animal gavé, hirsute, gauche, difforme, elle pleure la femme perdue,
La femme éteinte derrière le présent.
Sur la table, une gigantesque boîte à cachets multicolores attise son regard.
Elle saisi entre les doigts une petite pastille rose pastel,
La gobe,
Boit en avalant par à coups comme un petit enfant menacé.
Elle sourit soudain,
S'appuie sur le dossier de sa chaise, tranquille,
Et,
Lentement,
Dégringole le long des plis creusant sa face..
"Je... Je n'aime pas la musique...", dit-elle enfin.
Constance Cunha
Bruxelles, 1998, À une voisine en "réinsertion" après un internement psychiatrique.
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