Des milliers d'hommes,
Des hommes par milliers,
Les uns contre les autres,
Serrés à ne plus respirer,
Serrés à mort,
Les uns sur les autres.
Des milliers d’hommes,
Portant à bout de bras
Le corps d’une femme,
Le corps dans le cercueil
Un linceul blanc à travers la vitre,
Voile de la féminité.
Voile de la féminité.
Un linceul blanc dans le cercueil porté
À bout de bras par des hommes,
Des hommes devant
À bout de bras par des hommes,
Des hommes devant
Des hommes derrière,
Partout des hommes, des hommes,
Des hommes par milliers.
Le corps de la femme dans le cercueil
Monte, descend,
Monte, descend,
Roule sur les gestes des bras des hommes.
Ces vagues humaines le jettent devant,
Derrière, partout,
Derrière, partout,
Partout des bras se lèvent.
Le corps de la femme
Dans le linceul blanc semble plus léger que
Son âme.
Dans le linceul blanc semble plus léger que
Son âme.
Comme un voilier perdu au milieu de l’océan
Il s’en va, porté par la houle,
Il s’en va, porté par la houle,
Par les cris désespérés de matelots
Sans capitaine,
Sans capitaine,
D’oiseaux des mers asphyxiés
Par une marée noire...
Par une marée noire...
Les bras des hommes...
Ils ont tué la femme,
Mère, espoirs, regards, paroles...
Ils ont tué la femme dans son verbe,
Ses gestes,
Ses gestes,
Assassiné la sensibilité, l’émotivité,
La sensualité, la beauté...
La sensualité, la beauté...
La morte dans le linceul arrache aux
Visages des hommes vivants
Visages des hommes vivants
Des larmes de rage,
Des cris de guerre.
Elle fait pleurer la marée d’hommes
Asphyxiés par leur impuissance.
Asphyxiés par leur impuissance.
Est-ce l’absence d’autres femmes
Qui donne à cette dépouille solitaire
Qui donne à cette dépouille solitaire
Un caractère mystique absolu?
Elle se révèle unique,
Le linceul blanc autour du visage.
C’est l’image de la révélation, le visage de t
Toutes les Marie;
Toutes les Marie;
Marie de l’Apparition, Marie de la Concession,
Marie de la Rédemption, Marie de Nazareth,
Marie du Pakistan, portée à bout de bras par ses Fidèles...
Marie du Pakistan...
Tuer la femme.
Sentir le gouffre béant de son absence
Sous nos pieds,
Sous nos pieds,
Rendre compte de son caractère
Unique, irremplaçable,
Unique, irremplaçable,
Réaliser la lamentable fragilité des hommes,
Révéler aux yeux du monde
La lâcheté d’anonymes mâles explosés,
La lâcheté d’anonymes mâles explosés,
Tuant tout le monde pour assassiner
Une seule femme,
Une seule femme,
La jeter au sol, lui faire éclater la tête
Pour avoir pensé la sensibilité.
C’est l’annihilation de la vie,
De la détermination,
De la détermination,
De l’exploit merveilleux qu'est
Transcender sa condition,
Transcender sa condition,
Se sentir plus forte pour avoir compris que
Le monde vient de son ventre.
Le monde vient de son ventre.
C’est l’annulation de la conscience fine,
De tous les risques que comporte
La conviction de l’existence de la liberté.
La conviction de l’existence de la liberté.
C’est la fin du monde,
Le tunnel vers le chaos,
Le règne de la débilité et de
L’aliénation dans toute leur gloire,
L’aliénation dans toute leur gloire,
Leur force et leur violence masculines.
Tuer la femme
Pour se sentir mourir encore un peu,
Pour retarder l’engendrement des libertés,
L’expulsion de résidus d’ignominie.
Tuer la femme et ne même pas avoir
Le courage d’exister,
Le courage d’exister,
De vivre dans la considération de l’autre,
L’autre différent parce que autre.
Ne pas avoir le courage de montrer un visage,
Un corps, des mains.
Un corps, des mains.
Les assassins de la femme n’ont pas de regard,
Leur âme s’est déjà défigurée.
Ce sont des hommes morts.
Leur corps est dépecé par la bombe.
Ce sont des morts sans tombes, sans larmes.
Ils tuent en se tuant d’une mort sans restes.
Ils s’explosent le corps et la tête sans rémission.
Tuer la femme.
Entrer dans la certitude de ne plus jamais se laisser exister.
Constance Cunha
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